Re: Témoignage d’un Strumpell-Lorain rattrapé par l’âge.
Publié : 17 juin 2018 10:20
J’ai 56 ans, plus aucune dent, un beau fauteuil roulant sans lequel je ne peux plus me déplacer, pas la sagesse de l’intervenant ci-dessus, et surtout une santé à la con, qui, après plusieurs décennies où elle est restée presque sage, progresse maintenant plus vite que mon fauteuil ( sans compter qu’avec ma fatigabilité, hors norme, je suis souvent obligé de m’arrêter complètement ! )
Comme je me vois donc, bien trop prématurément, rattrapé par un grand âge qui n’est pas encore le mien, et qu’aujourd’hui sans compagne, je n’ai plus mon lot de satisfaction sentimentale et biologique, j’essaye de me tourner vers d’autres voies, surtout d’exorciser tout ça, trop "bouffant" sinon. J’ai donc écrit le texte ci-dessous, avant tout pour moi, mais tout en espérant qu’il pourra aider certains.
Notez bien que je n’attends aucune réponse. Je n’ai écrit ceci que pour cristalliser en mots ce qui, sinon, se serait fatalement transformé en maux. Or, pour ceux-là, merci, j’ai déjà donné ! D’ailleurs, je ne peux qu’encourager chacun à se lancer dans ce genre de « littérature » : ça marche ! ( et même au-delà de toute attente ! ) Bonne lecture !
La non-vie sexuelle d’un handicapé
Ce que je pense des Assistantes Sexuelles
En janvier 1994 m’est tombé dessus l’implacable couperet d’un diagnostic médical en forme de catastrophe, et surtout de paraplégie progressive.
Ce qui n’était, à l’origine, qu’une impossibilité de courir, doublée d’une fatigabilité hors norme, presque permanente, et apparaissant au plus petit effort, est devenu, grâce à des examens par appareils d’imagerie médicale, et surtout au génie d’un grand ponte de la neurologie, quelque chose de beaucoup plus embêtant. La maladie génétique et orpheline « de Strümpell - Lorrain » cumule en effet tous les inconvénients : incurable,
dégénérative ( elle ne peut progresser que dans le mauvais sens, sans retour en arrière possible ), à évolution irrégulière et imprévisible, polymorphe ( ses manifestations varient d’un individu à l’autre ), et très invalidante ( tous les détails sont sur internet ), elle est en plus mal connue, très peu étudiée, et met en œuvre simultanément un grand nombre de gènes.
Strümpell - Lorrain, ou l’art d’introduire insidieusement et progressivement une paraparésie à impact modéré, car superficiel, puis de remplacer sournoisement et lentement celle-ci par une paraplégie lourde à porter ( toujours présente, qui conditionne tout ), sans compter de nombreux autres symptômes, me concernerait désormais. A vie. Strümpell - Lorrain est plus qu’une métamorphose, c’est une métamorphose qui s’enlise : elle est Irrévocable, elle sape en permanence. J’aurai sans arrêt à m’adapter à son évolution. Avec ce genre d’affection, qui at-teindrait, à terme, chaque aspect de ma physiologie, donc concernerait chaque parcelle de ma vie, on est loin d’une simple blessure médullaire, aux conséquences dramatiques, certes, mais qui ont le mérite d’être stationnaires, définitives. Comment s’adapter à ce qui évolue sans cesse ? Quant aux possibilités d’une éventuelle guérison, aucun traitement autre que symptomatique n’existant, ni même n’étant envisagé, je sais qu’il se passera plusieurs générations avant qu’on ait mis au point une quelconque thérapie. Et gageons que, d’ici-là, la Nature aura su inventer bien pire !
Après ce coup de bambou dramatique, et devant l’insistance permanente de notre société, le martèlement même qu’elle nous prodigue, j’ai docilement accepté mon sort, je m’y suis résigné. Je me suis dit que pour fonctionner correctement et de manière pérenne, notre « civilisation » avait besoin de parias : puisqu’elle m’avait désigné, j’en serai un.
Je me suis résigné à ne pas m’engager sur le chemin d’une vie à deux ordinaire, à rester au large de ces contrées désormais interdites, qui m’avaient pourtant tant fascinées quand j’étais valide. Je me suis ainsi résolu à passer toute la fin de ma vie sans faire de vagues, en cul-de-jatte qui resterait sagement assis sur son fauteuil roulant, où je pourrirai lentement et en silence, comme on me le demandait, en attendant l’asile d’aliénés que m’offrirait si généreusement la société, tant il est vrai que ce genre de handicap tape à la longue inévitablement sur le système.
Pour survivre après une annonce aussi catastrophique qu’incontournable, je me suis renfermé dans une existence toute autarcique. Cette attitude, qui confine à l’autisme, s’est en fait révélée être un rempart sans égal, face à un monde de plus en plus fou. Je voyais l’oasis que je m’étais créée entourée par une jungle souvent indescriptible, de plus en plus touffue et exubérante, où les sexualités les plus diverses se côtoient et s’entremêlent, sans que personne en soit jamais choqué ( ! ), où tout se rencontre, où tout est possible, mais dont sont chassés tous ceux qui sont trop éloignés de la norme. Je me suis bercé de l’illusion d’une existence que je mènerais en un jardin d’Eden où tout serait immuable et fleuri. Ce mirage s’épanouissait dans un environnement qui empirait toujours, au cœur d’une véritable forêt vierge au développement anarchique.
Dans la clairière ou j’avais trouvé refuge, l’évolution de son environnement ne me concernait pas. Son développement, d’ailleurs, je le pensais savamment entretenu par nos « bien pensants », par ces tenants de la vérité que sont ceux qui détiennent la « culture légitime », comme disent les sociologues. Le paradigme inconsciemment admis par tous, à propos des relations homme-femme, a ceci de spécifique : les minorités, par exemple tous ceux atteints d’une maladie chronique et invalidante, en sont systématiquement et définitivement exclus. Et ce consensus est puissant : malheur à ceux qui ne s’y conforment pas !
Le handicap est malheureusement une chose qui fait peur, qui fait peur à tous. Plus ou moins consciemment, chacun sait qu’il peut, à tout moment et sans préavis, être concerné par une blessure médullaire aussi bien que par une maladie invalidante. Il faut donc être bienveillant, magnanime même envers les handicapés, puisque chacun peut le devenir. Par ailleurs, notre éthique officielle, consensuelle, n’admet pas la marchandisation du corps à des fins de satisfaction sexuelle, autrement dit la prostitution. Pour apaiser les tensions qu’engendre la cohabitation de ces deux principes, incompatibles, l’opinion publique se doit de se donner bonne conscience à propos des handicapés, et de leurs nombreux désirs à satisfaire. Le « Prince », qui fait les lois, se trouve des lors, dans une situation cornélienne. « On ne va tout de même pas légiférer en leur faveur dans ce domaine, accorder aux culs-de-jatte le droit d’avoir recours à des prostituées ! Une telle loi serait une balafre majeure à notre belle morale judéo-chrétienne, tellement rassurante pour tous. »
Nos dirigeants ont donc résolu ce dilemme ainsi : ils ferment systématiquement les yeux sur le mouvement d’Assistance Sexuelle pour Handicapés qui apparaît, bien qu’il aille complètement à l’encontre des lois. Plutôt qu’une balafre à notre morale, les autorités ont préféré laisser s’installer une brèche schizoïde entre leurs dires et leur pratique. La tolérance qui en résulte, a malheureusement pour nous une conséquence dramatique, un effet pervers des plus gênants : la légalisation de ce genre de services n’est pas prêt de voir le jour !
Avoir recours à des Assistantes Sexuelles, même pour qui croit ne pas pouvoir faire autrement, ne peut pas être psychologiquement satisfaisant. Ce n‘est qu’un succédané, un pis-aller. A défaut de pouvoir accéder au marché des épousailles classique, les « vilains petits canards » de la famille humaine que sont ses membres en situation de handicap se voient attribuer, comme lot de consolation, des Assistantes Sexuelles. Bien piètre consolation, en vérité, que de juste pouvoir satisfaire ses instincts biologiques les plus primaires ! Utiliser cette solution n’est donc qu’un leurre, une illusion, au service en fait du socialement acceptable.
Et l’hypocrisie des garants de l’orthodoxie de la pensée, que se doivent d’être tous les valides, ne se cantonne d’ailleurs pas là. La sexualité des handicapés n’est en fait qu’un exemple des nombreux domaines où elle sévit : ils sont nombreux, les aspects de leurs vies pour lesquels on les laisse, sans vergogne, au bord du chemin ! En fait, la société se donne juste bonne conscience en nous maintenant, gentiment mais fermement, la tête sous l’eau, en nous gardant intouchables, en nous infantilisant en permanence.
Outre l’accès à une vie sexuelle régulière, tous, valides ou non, désirent aussi obtenir une vie sentimentale. Je ne fais pas exception à cette règle, universelle. C’est même un lieu commun que de considérer ces deux composantes d’une existence intime comme liées : satisfaction affective et activité sexuelle portent le même nom ! Il ne faut aucun glissement sémantique, même le plus petit, pour passer de l’un à l’autre ! C’est dire si les confondre serait aisé ! Les dissocier ne peut se faire qu’au prix d’un certain effort, est toujours le résultat d’un examen détaillée de telle ou telle situation.
Lorsqu’ils sont vécus simultanément, amour physique et sentiment amoureux sont une cathédrale, une corne d’abondance sans pareil, la source d’un feu d’artifice merveilleux parmi nos neurones, et, partant, d’une construction de soi magique et à toute épreuve, l’origine permanente d’une confiance en soi de plus en plus grande ! Au lieu de cela, ma situation de « frustré jusqu’à la moelle » me poussera à me contenter de bien moins : avec une Assistante Sexuelle ( pour Handicapés, ou plus simplement AS ), il ne s'agirait que de satisfaire mes hormones, mes instincts, ma chair, et rien d'autre, bref de ressentir du plaisir. Entre amour physique et amour-sentiment, la limite, très ténue, à la fois floue et mouvante, n’est pour moi plus une source de leurre. Bien que frustré au-delà du raisonnable, je suis maintenant capable de ne plus faire l’amalgame.
Le sentiment amoureux est sans doute ce qui justifie le plus notre bref passage en ce monde, même la seule chose peut-être, qui élève un peu celui-ci au dessus du niveau de la farce. Malheureusement, les représentants des deux sexes de notre espèce ne voient pas de la même façon une relation amoureuse. Là où les hommes ne font qu’appliquer le déterminisme biologique qui les pousse à disséminer le plus possible leurs gènes, les femmes répondent avant tout à leur « instinct de nidification ». La seule chose qui peut les réunir, et donc engendrer et justifier une union, durable ou non, est le sentiment amoureux, que peuvent ressentir les deux.
Ainsi, j’ai renoncé au parfum incomparable d’une rencontre amoureuse aux possibilités tellement épanouissantes, d’une relation à deux où il fait si beau, d’une union à chaque instant tellement créatrice, d’une idylle toujours plus féconde. Comme il doit être géant, le plaisir de pouvoir contempler, dès le réveil, le visage souriant de l’être aimé, d’accompagner ses joies et ses émerveillements en toutes circonstances, bref de partager chacun de ses instants !
Depuis la date fatidique de mon diagnostic, je me suis donc replié sur moi-même, vivant de solitude, de rêve et de masturbation, puisque le politiquement correct n’arrêtait pas de répéter que les handicapés, forcément sans sexe ni désir de sexualité, n’avaient rien à faire parmi les autres. De journaux érotiques en « peep-shows », de plages naturistes en films « osés », puis de sites internet emplis de photos « soft » en sites aux contenus de
plus en plus « hard », je me suis lentement, mais inexorablement, enfermé dans mon refuge et piège.
Petit à petit, sans que je m’en aperçoive, cette habitude d’excitation solitaire est passée d’obéissance aux injonctions de la société à une source irréversible d’enfermement. De rempart, elle s’est faite prison. Peut-être, d’ailleurs, n’est ce qu’une des nombreuses nouvelles addictions que sécrète notre société, peut-être que, si nous ne prenons pas assez garde à toutes ses tentations, nous serons tous, un jour, de semblables Robinson. Car cette lutte, permanente et sans pitié, entre Eros et Thanatos, plus d’un quart de siècle plus tard, dure toujours. Et je ne sais plus comment en sortir. Il faudra qu’elle soit très forte, la fée qui m’extirpera d’ici !
Je n'ai, malheureusement, jamais bénéficié de l'intervention d'une Assistante Sexuelle. Dieu sait pourtant à quel point ma situation rendrait cela souhaitable. La première fois que j’ai entendu parler de cette activité, toujours pas légalisée en France en 2018, ce qui est regrettable, j’ai pensé que cette possibilité, louable dans son principe, ne devrait être réservée qu’aux cas les plus lourds. Or, depuis quelques années, force est de constater que mon état de santé me fait faire partie de cette catégorie. Il est donc, actuellement, dans mon intention d’y avoir prochainement recours.
La toute-puissance de l’amour, dans les deux acceptions de ce terme, est en fait simple à comprendre. Pendant l’amour physique, c’est notre cerveau reptilien, complètement dénué d’esprit critique, de possibilité de raisonnement rationnel même, qui est aux commandes, qui dirige tout. Il lui serait simple alors, sous la férule d’un inconscient ô combien puissant, de convaincre le reste de notre esprit, de nous faire croire qu’un attachement se met en place avec ce genre de partenaire. Mais ce serait là, en fait, juste une illusion, destinée à nous faire renouveler l’expérience, pour que l’animal qui est en nous obtienne à l’avenir à nouveau satisfaction.
Or une stratégie aussi machiavélique de notre inconscient peut très bien être déjouée : il nous faut, pour cela, juste une réflexion, une prise de conscience éclairée et permanente. A ceux qui veulent utiliser les services d’une Assistante Sexuelle de montrer qu’ils sont à la hauteur !
Le concept même d’assistance sexuelle est donc à manier précautionneusement, avec beaucoup de discernement. Sa réalité, bien que louable dans son principe même, ne doit pas être confiée à tous. En définitive, je pense que l’Assistanat Sexuel ne devrait bénéficier, parmi les handicapés, qu’à ceux qui auraient tout d’abord mené une réflexion poussée à son propos.
Comme je me vois donc, bien trop prématurément, rattrapé par un grand âge qui n’est pas encore le mien, et qu’aujourd’hui sans compagne, je n’ai plus mon lot de satisfaction sentimentale et biologique, j’essaye de me tourner vers d’autres voies, surtout d’exorciser tout ça, trop "bouffant" sinon. J’ai donc écrit le texte ci-dessous, avant tout pour moi, mais tout en espérant qu’il pourra aider certains.
Notez bien que je n’attends aucune réponse. Je n’ai écrit ceci que pour cristalliser en mots ce qui, sinon, se serait fatalement transformé en maux. Or, pour ceux-là, merci, j’ai déjà donné ! D’ailleurs, je ne peux qu’encourager chacun à se lancer dans ce genre de « littérature » : ça marche ! ( et même au-delà de toute attente ! ) Bonne lecture !
La non-vie sexuelle d’un handicapé
Ce que je pense des Assistantes Sexuelles
En janvier 1994 m’est tombé dessus l’implacable couperet d’un diagnostic médical en forme de catastrophe, et surtout de paraplégie progressive.
Ce qui n’était, à l’origine, qu’une impossibilité de courir, doublée d’une fatigabilité hors norme, presque permanente, et apparaissant au plus petit effort, est devenu, grâce à des examens par appareils d’imagerie médicale, et surtout au génie d’un grand ponte de la neurologie, quelque chose de beaucoup plus embêtant. La maladie génétique et orpheline « de Strümpell - Lorrain » cumule en effet tous les inconvénients : incurable,
dégénérative ( elle ne peut progresser que dans le mauvais sens, sans retour en arrière possible ), à évolution irrégulière et imprévisible, polymorphe ( ses manifestations varient d’un individu à l’autre ), et très invalidante ( tous les détails sont sur internet ), elle est en plus mal connue, très peu étudiée, et met en œuvre simultanément un grand nombre de gènes.
Strümpell - Lorrain, ou l’art d’introduire insidieusement et progressivement une paraparésie à impact modéré, car superficiel, puis de remplacer sournoisement et lentement celle-ci par une paraplégie lourde à porter ( toujours présente, qui conditionne tout ), sans compter de nombreux autres symptômes, me concernerait désormais. A vie. Strümpell - Lorrain est plus qu’une métamorphose, c’est une métamorphose qui s’enlise : elle est Irrévocable, elle sape en permanence. J’aurai sans arrêt à m’adapter à son évolution. Avec ce genre d’affection, qui at-teindrait, à terme, chaque aspect de ma physiologie, donc concernerait chaque parcelle de ma vie, on est loin d’une simple blessure médullaire, aux conséquences dramatiques, certes, mais qui ont le mérite d’être stationnaires, définitives. Comment s’adapter à ce qui évolue sans cesse ? Quant aux possibilités d’une éventuelle guérison, aucun traitement autre que symptomatique n’existant, ni même n’étant envisagé, je sais qu’il se passera plusieurs générations avant qu’on ait mis au point une quelconque thérapie. Et gageons que, d’ici-là, la Nature aura su inventer bien pire !
Après ce coup de bambou dramatique, et devant l’insistance permanente de notre société, le martèlement même qu’elle nous prodigue, j’ai docilement accepté mon sort, je m’y suis résigné. Je me suis dit que pour fonctionner correctement et de manière pérenne, notre « civilisation » avait besoin de parias : puisqu’elle m’avait désigné, j’en serai un.
Je me suis résigné à ne pas m’engager sur le chemin d’une vie à deux ordinaire, à rester au large de ces contrées désormais interdites, qui m’avaient pourtant tant fascinées quand j’étais valide. Je me suis ainsi résolu à passer toute la fin de ma vie sans faire de vagues, en cul-de-jatte qui resterait sagement assis sur son fauteuil roulant, où je pourrirai lentement et en silence, comme on me le demandait, en attendant l’asile d’aliénés que m’offrirait si généreusement la société, tant il est vrai que ce genre de handicap tape à la longue inévitablement sur le système.
Pour survivre après une annonce aussi catastrophique qu’incontournable, je me suis renfermé dans une existence toute autarcique. Cette attitude, qui confine à l’autisme, s’est en fait révélée être un rempart sans égal, face à un monde de plus en plus fou. Je voyais l’oasis que je m’étais créée entourée par une jungle souvent indescriptible, de plus en plus touffue et exubérante, où les sexualités les plus diverses se côtoient et s’entremêlent, sans que personne en soit jamais choqué ( ! ), où tout se rencontre, où tout est possible, mais dont sont chassés tous ceux qui sont trop éloignés de la norme. Je me suis bercé de l’illusion d’une existence que je mènerais en un jardin d’Eden où tout serait immuable et fleuri. Ce mirage s’épanouissait dans un environnement qui empirait toujours, au cœur d’une véritable forêt vierge au développement anarchique.
Dans la clairière ou j’avais trouvé refuge, l’évolution de son environnement ne me concernait pas. Son développement, d’ailleurs, je le pensais savamment entretenu par nos « bien pensants », par ces tenants de la vérité que sont ceux qui détiennent la « culture légitime », comme disent les sociologues. Le paradigme inconsciemment admis par tous, à propos des relations homme-femme, a ceci de spécifique : les minorités, par exemple tous ceux atteints d’une maladie chronique et invalidante, en sont systématiquement et définitivement exclus. Et ce consensus est puissant : malheur à ceux qui ne s’y conforment pas !
Le handicap est malheureusement une chose qui fait peur, qui fait peur à tous. Plus ou moins consciemment, chacun sait qu’il peut, à tout moment et sans préavis, être concerné par une blessure médullaire aussi bien que par une maladie invalidante. Il faut donc être bienveillant, magnanime même envers les handicapés, puisque chacun peut le devenir. Par ailleurs, notre éthique officielle, consensuelle, n’admet pas la marchandisation du corps à des fins de satisfaction sexuelle, autrement dit la prostitution. Pour apaiser les tensions qu’engendre la cohabitation de ces deux principes, incompatibles, l’opinion publique se doit de se donner bonne conscience à propos des handicapés, et de leurs nombreux désirs à satisfaire. Le « Prince », qui fait les lois, se trouve des lors, dans une situation cornélienne. « On ne va tout de même pas légiférer en leur faveur dans ce domaine, accorder aux culs-de-jatte le droit d’avoir recours à des prostituées ! Une telle loi serait une balafre majeure à notre belle morale judéo-chrétienne, tellement rassurante pour tous. »
Nos dirigeants ont donc résolu ce dilemme ainsi : ils ferment systématiquement les yeux sur le mouvement d’Assistance Sexuelle pour Handicapés qui apparaît, bien qu’il aille complètement à l’encontre des lois. Plutôt qu’une balafre à notre morale, les autorités ont préféré laisser s’installer une brèche schizoïde entre leurs dires et leur pratique. La tolérance qui en résulte, a malheureusement pour nous une conséquence dramatique, un effet pervers des plus gênants : la légalisation de ce genre de services n’est pas prêt de voir le jour !
Avoir recours à des Assistantes Sexuelles, même pour qui croit ne pas pouvoir faire autrement, ne peut pas être psychologiquement satisfaisant. Ce n‘est qu’un succédané, un pis-aller. A défaut de pouvoir accéder au marché des épousailles classique, les « vilains petits canards » de la famille humaine que sont ses membres en situation de handicap se voient attribuer, comme lot de consolation, des Assistantes Sexuelles. Bien piètre consolation, en vérité, que de juste pouvoir satisfaire ses instincts biologiques les plus primaires ! Utiliser cette solution n’est donc qu’un leurre, une illusion, au service en fait du socialement acceptable.
Et l’hypocrisie des garants de l’orthodoxie de la pensée, que se doivent d’être tous les valides, ne se cantonne d’ailleurs pas là. La sexualité des handicapés n’est en fait qu’un exemple des nombreux domaines où elle sévit : ils sont nombreux, les aspects de leurs vies pour lesquels on les laisse, sans vergogne, au bord du chemin ! En fait, la société se donne juste bonne conscience en nous maintenant, gentiment mais fermement, la tête sous l’eau, en nous gardant intouchables, en nous infantilisant en permanence.
Outre l’accès à une vie sexuelle régulière, tous, valides ou non, désirent aussi obtenir une vie sentimentale. Je ne fais pas exception à cette règle, universelle. C’est même un lieu commun que de considérer ces deux composantes d’une existence intime comme liées : satisfaction affective et activité sexuelle portent le même nom ! Il ne faut aucun glissement sémantique, même le plus petit, pour passer de l’un à l’autre ! C’est dire si les confondre serait aisé ! Les dissocier ne peut se faire qu’au prix d’un certain effort, est toujours le résultat d’un examen détaillée de telle ou telle situation.
Lorsqu’ils sont vécus simultanément, amour physique et sentiment amoureux sont une cathédrale, une corne d’abondance sans pareil, la source d’un feu d’artifice merveilleux parmi nos neurones, et, partant, d’une construction de soi magique et à toute épreuve, l’origine permanente d’une confiance en soi de plus en plus grande ! Au lieu de cela, ma situation de « frustré jusqu’à la moelle » me poussera à me contenter de bien moins : avec une Assistante Sexuelle ( pour Handicapés, ou plus simplement AS ), il ne s'agirait que de satisfaire mes hormones, mes instincts, ma chair, et rien d'autre, bref de ressentir du plaisir. Entre amour physique et amour-sentiment, la limite, très ténue, à la fois floue et mouvante, n’est pour moi plus une source de leurre. Bien que frustré au-delà du raisonnable, je suis maintenant capable de ne plus faire l’amalgame.
Le sentiment amoureux est sans doute ce qui justifie le plus notre bref passage en ce monde, même la seule chose peut-être, qui élève un peu celui-ci au dessus du niveau de la farce. Malheureusement, les représentants des deux sexes de notre espèce ne voient pas de la même façon une relation amoureuse. Là où les hommes ne font qu’appliquer le déterminisme biologique qui les pousse à disséminer le plus possible leurs gènes, les femmes répondent avant tout à leur « instinct de nidification ». La seule chose qui peut les réunir, et donc engendrer et justifier une union, durable ou non, est le sentiment amoureux, que peuvent ressentir les deux.
Ainsi, j’ai renoncé au parfum incomparable d’une rencontre amoureuse aux possibilités tellement épanouissantes, d’une relation à deux où il fait si beau, d’une union à chaque instant tellement créatrice, d’une idylle toujours plus féconde. Comme il doit être géant, le plaisir de pouvoir contempler, dès le réveil, le visage souriant de l’être aimé, d’accompagner ses joies et ses émerveillements en toutes circonstances, bref de partager chacun de ses instants !
Depuis la date fatidique de mon diagnostic, je me suis donc replié sur moi-même, vivant de solitude, de rêve et de masturbation, puisque le politiquement correct n’arrêtait pas de répéter que les handicapés, forcément sans sexe ni désir de sexualité, n’avaient rien à faire parmi les autres. De journaux érotiques en « peep-shows », de plages naturistes en films « osés », puis de sites internet emplis de photos « soft » en sites aux contenus de
plus en plus « hard », je me suis lentement, mais inexorablement, enfermé dans mon refuge et piège.
Petit à petit, sans que je m’en aperçoive, cette habitude d’excitation solitaire est passée d’obéissance aux injonctions de la société à une source irréversible d’enfermement. De rempart, elle s’est faite prison. Peut-être, d’ailleurs, n’est ce qu’une des nombreuses nouvelles addictions que sécrète notre société, peut-être que, si nous ne prenons pas assez garde à toutes ses tentations, nous serons tous, un jour, de semblables Robinson. Car cette lutte, permanente et sans pitié, entre Eros et Thanatos, plus d’un quart de siècle plus tard, dure toujours. Et je ne sais plus comment en sortir. Il faudra qu’elle soit très forte, la fée qui m’extirpera d’ici !
Je n'ai, malheureusement, jamais bénéficié de l'intervention d'une Assistante Sexuelle. Dieu sait pourtant à quel point ma situation rendrait cela souhaitable. La première fois que j’ai entendu parler de cette activité, toujours pas légalisée en France en 2018, ce qui est regrettable, j’ai pensé que cette possibilité, louable dans son principe, ne devrait être réservée qu’aux cas les plus lourds. Or, depuis quelques années, force est de constater que mon état de santé me fait faire partie de cette catégorie. Il est donc, actuellement, dans mon intention d’y avoir prochainement recours.
La toute-puissance de l’amour, dans les deux acceptions de ce terme, est en fait simple à comprendre. Pendant l’amour physique, c’est notre cerveau reptilien, complètement dénué d’esprit critique, de possibilité de raisonnement rationnel même, qui est aux commandes, qui dirige tout. Il lui serait simple alors, sous la férule d’un inconscient ô combien puissant, de convaincre le reste de notre esprit, de nous faire croire qu’un attachement se met en place avec ce genre de partenaire. Mais ce serait là, en fait, juste une illusion, destinée à nous faire renouveler l’expérience, pour que l’animal qui est en nous obtienne à l’avenir à nouveau satisfaction.
Or une stratégie aussi machiavélique de notre inconscient peut très bien être déjouée : il nous faut, pour cela, juste une réflexion, une prise de conscience éclairée et permanente. A ceux qui veulent utiliser les services d’une Assistante Sexuelle de montrer qu’ils sont à la hauteur !
Le concept même d’assistance sexuelle est donc à manier précautionneusement, avec beaucoup de discernement. Sa réalité, bien que louable dans son principe même, ne doit pas être confiée à tous. En définitive, je pense que l’Assistanat Sexuel ne devrait bénéficier, parmi les handicapés, qu’à ceux qui auraient tout d’abord mené une réflexion poussée à son propos.